Eliasch y est, dans la colle

Comme Gianni Infantino, il est le big boss d’une fédération sportive internationale. Comme Gianni Infantino, il a pris cette place en succédant à un encombrant prédécesseur. Comme Gianni Infantino, il n’a pas un poil sur le caillou. Comme Gianni Infantino, il est décrié pour son éthique et sa gestion. Et pour un Américain, il est, comme Gianni Infantino, originaire de Suède.

Mais qui est vraiment Johan Eliasch, le président de la FIS, dont on entend beaucoup parler ces dernières semaines ? Pour le savoir, petit passage sur sa biographie :

Sa page wikipédia nous informe que Johan Eliasch est né « en février 1962 » en Suède. Comme tout vrai méchant, on ne sait donc pas grand-chose de sa jeunesse, hormis qu’il est suédois (c’est important pour la suite). En 2021, l’homme d’affaires, qui n’a – presque – absolument rien à voir avec la FIS prend la présidence de cette dernière, bien aidé en cela par les représentants autrichiens. Ça aussi, c’est important pour la suite. La bizarrerie dans cette histoire ? Eliasch est, depuis 1995, le CEO de Head. Mais si, vous savez, la marque de ski autrichienne, qui équipe de nombreux athlètes de Coupe du Monde !

Donc on récapitule, déjà. Le directeur d’un des plus gros sponsors du monde du ski est, depuis trois ans, le big boss de la Fédé internationale du même sport. La marque qui offre matériel et divers moyens à, entre autres, Alexis Pinturault, Vincent Kriechmayr, Johannes Strolz,  Atle Lie McGrath, Mathieu Faivre, Lara Gut-Behrami, Cornelia Hütter, Sara Hector ou encore Raghnild Mowinckel. C’est un peu comme si le PDG de Novartis devenait président de l’UCI ! Ou comme si Johan Eliasch devenait le président de la Fédé internationale de Tennis… Même Infantino n’a pas eu de conflits d’intérêts pareils !

En plus il est bien entouré ce garçon.

Et à part de Head, il sort d’où, ce brave monsieur ? En parcourant sa biographie, on apprend que son métier premier, et la raison de sa fortune, est le redressement d’entreprises en galère. Tu m’étonnes qu’il ait été vu comme un messie à la FIS après le départ du Grison Gian-Franco Kasper. Le Suédois fait donc fortune en Angleterre, bien appuyé de temps à autre par des copains hauts placés. Dans les années 2000, il est même élu trésorier adjoint du Parti Conservateur Britannique, pour lequel il allongeait depuis quelque temps de généreux prêts. Parce qu’on n’est plus à ça près en termes d’ingérences. Avant de devoir démissionner de son poste en 2007 pour rejoindre  le gouvernement… travailliste (!) en tant que conseiller sur l’environnement. Parce qu’on n’est plus à ça près quand il s’agit de bouffer à tous les râteliers.

Conseiller sur l’environnement ? Oui, car Eliasch est un maître dans le domaine. Enfin… Le bougre a fondé plusieurs entreprises et autres associations de défense de la forêt amazonienne. Mais quand on sait que l’une d’entre elles a été épinglée pour déforestation illégale, ça remet un peu l’église au milieu du village. On peut d’ailleurs citer le personnage de Jordan Belfort dans le Loup de Wall Street « L’argent fait de vous un homme meilleur. Vous pouvez faire des dons généreux à l’église ou au parti politique de votre choix, ou sauver une putain de chouette mouchetée avec du fric. » Parce qu’on n’est plus à ça près quand il s’agit de greenwashing.

Mais du coup, comment le meilleur pote du Prince Andrew (information véridique) s’est retrouvé à la tête de la FIS alors qu’on le connaissait alors uniquement pour ses talents de chef d’entreprise/trésorier/homme politique/pseudo-écologiste ? Avant tout grâce au soutien de ses athlètes chez Head, notamment Aksel Lund Svindal et Lindsey Vonn, d’anciens bons clients. Mais aussi par un ras-le-bol. La Fédération sortait de vingt-trois ans de règne du alors déjà très sénile Gian-Franco Kasper, qui multipliait les conneries depuis plusieurs années. Mais aussi de septante (!) ans de présidence suisse. C’est donc peu dire que, lorsque s’est dressé face à Eliasch le président de Swiss Ski Urs Lehmann, certaines fédérations ont préféré choisir le changement. En tête de liste, et ça ne surprendra personne, l’Autriche, qui a largement soutenu le milliardaire suédois. Mais promis, ça n’a rien à voir avec le fait que Head soit une marque autrichienne. Voilà donc comment on devient président d’une fédération sportive. Et on le reste en profitant d’un système biaisé puisqu’en 2022, une réélection a lieu. Mais malgré, déjà, de plus en plus de voix dissonantes, personne ne peut s’opposer à Eliasch puisque les choix de votes sont « oui » ou « abstention ». Poutine likes this.

Bon, on a jusqu’ici vu qu’Eliasch n’était pas une super super personne. Mais pas encore des choses qu’il a faites à la FIS et qui, au final, nous intéressent sur ce site. Deux points ressortent notamment de son mandat. Le premier est très récent et a fait les choux gras de la presse par nos contrées. Cela concerne les mondiaux de Crans-Montana, en 2027. Cet évènement, prévu depuis plusieurs années, a été récemment menacé par la FIS en raison de « garanties financières insuffisantes ». Officiellement, le problème est que la Suisse devrait organiser une votation pour que le Canton et la Confédération avancent lesdites garanties. Ce qui, vu le timing, n’est pas possible. Mais ce qui n’avait pas posé problème pour les Mondiaux de St-Moritz en 2017. Officieusement, le fait que cela fasse chier Urs Lehmann, qui ne s’est pas caché de son aversion pour le Suédois depuis son échec électoral, joue probablement un rôle là-dedans. Affaire à suivre donc…

Mais surtout, là où le bât blesse pour Eliasch, c’est au niveau des réformes qu’il a amenées depuis son introduction. Alors, on ne s’étendra pas plus que ça sur cette merde sans nom qu’est la course avec écart GPS, qui a pour but de spoiler tout le suspense de la manche mais qui est aussi fiable que Ricardo Rodriguez au moment de tirer un pénalty. Par contre, on va rester deux minutes sur l’augmentation permanente du nombre d’épreuves. Forcément, comme pour le foot ou la F1, plus d’évènements signifie plus de rentrées sur les droits TV, ce que notre philanthrope – oui oui, certaines personnes le qualifient sérieusement avec ce terme – a bien compris. D’ailleurs, le fait qu’il n’y a probablement jamais eu autant de courses annulées que cette année créé un délicieux paradoxe. Sans parler du fait que l’un des arguments pour cette augmentation des épreuves était de renforcer l’équité entre les disciplines de vitesse et celles techniques, alors que c’est précisément les courses de vitesse qui sont le plus souvent annulées. Le fait qu’il n’y ait non plus jamais eu autant de blessés que cette saison crée en revanche un dramatique précédent.

Mais le pire, ou le plus drôle, c’est selon, c’est la géographie du calendrier annuel. Avant la venue du sieur Eliasch, l’organisation était simple : Un premier week-end à Sölden, sur un glacier en Autriche pour qu’il y ait déjà de la neige ; un petit stop en Laponie pour le slalom ; une tournée en Amérique du Nord où l’hiver est plus précoce, pour les disciplines de vitesse ; puis, dès mi-décembre, retour en Europe pour les classiques, avant une fin de saison plus standard quoiqu’avec une ou deux destinations un peu plus exotiques, voire questionnables (Bansko ou surtout Sotchi). Un calendrier somme toute logique et conforme avec les nations en présence au niveau sportif. Puis est venu Johan Eliasch, dont l’un des motto est, pour rappel, le greenwashing l’écologie. Et avec lui, un nouveau calendrier : Le début reste à Sölden, avant de viser Zermatt/Cervinia pour le succès sportif et – oh, quel hasard – écologique que l’on sait ; la suite de la saison revient sur un parcours classique ; Puis, fin février – début mars, un petit séjour en Californie et au Colorado se retrouve au programme, casé entre des épreuves en France et en Slovénie. Interrogé sur la pertinence de ces aménagements, Michel Vion, le bras droit de Lex Luthor Johan Eliasch, s’est rabattu sur la forme de la pétition écrite par les sportifs avant de botter en touche sur le fond. Petit aparté, on n’a pas encore parlé de Michel Vion dans cet article, mais il faut voir le numéro deux de la FIS comme un roquet prêt à mordre les mollets de tous ceux qui auraient le malheur de remettre en doute la parole de Saint-Johan. Un peu comme Diabolo mord quand on s’en prend à Satanas. À l’image du début de saison, quand il s’est moqué d’Odermatt qui affirmait que le calendrier était trop chargé, suggérant même au Nidwaldien de supprimer les courses en Suisse. Ironique, quand on sait qu’Odermatt est l’un des rares coureurs jouant le général à ne pas s’être blessé dans cette saison surchargée. D’ailleurs, on pourrait peut-être tirer un parallèle entre les blessures et les jetlags supplémentaires causés par ce nouvel aller-retour en Amérique aussi, mais bref.

Eliasch avec son costume de kryptonite

Revenons sur l’écologie. Car oui, c’était l’un des arguments du Suédois lors de sa nomination à la tête de la Fédé. En trois ans, il a donc déjà fait exploser pour rien un glacier protégé dans le haut Valais et utilisé le kérosène nécessaire au fonctionnement énergétique annuel du Sri Lanka juste pour aller faire le beau en Californie. Mais il ne s’est pas arrêté là. Car oui, les prochaines étapes selon le Gianni Infantino du Nord, c’est la Chine, le Japon et une augmentation des courses, encore, en Amérique du Nord. Avant, selon certaines rumeurs de viser l’Arabie Saoudite. Le Grand-Chelem. Et comment faire pour caser tout ça dans un calendrier déjà surchargé ? Eh bien en supprimant les classiques, les épreuves qui font la gloire de la Coupe du Monde ! Un peu à l’image de ce qui est fait depuis quelque temps en foot et en F1, on dégage les lieux légendaires de ces sports pour les remplacer par des ersatz d’épreuves, qui n’intéressent personne mais qui payent une fortune pour le coup de pub. Et comment on justifie ça ? En expliquant que les 30’000 spectateurs de Schladming, épreuve mythique s’il en est, avaient une plus grosse empreinte carbone que les 4 pelés qui vont voir le géant d’Aspen, car tout le monde s’en branle du ski aux Etats-Unis. Même Kasper ne l’aurait pas tentée celle-là. Une remarque qui a, enfin, fait bondir en Autriche, où les dirigeants sont en train de se rendre compte de la monumentale connerie qu’ils ont faite au moment d’élire le boss de Head.

Pour rappel, la tronche des stations de ski chinoises.

En 2019, l’éminent Yves Martin avait consacré un édito à Gianni Infantino, dans lequel il expliquait que Blatter, c’était les magouilles à papa, alors qu’Infantino est « l’ultra-capitaliste cynique qui vendrait père et mère pour une part de marché ». Eliasch, c’est encore autre chose. C’est le mec pété de thune, qui se fait bien voir dans les dîners mondains, tout en tirant les ficelles dans l’arrière boutique pour faire le mal. Si on les compare, Blatter, c’était Al Capone, le vieux mafieux qui verse pot de vin sur pot de vin et gère ses affaires parfois lui-même, en étant un peu sanguin mais roublard. Infantino, c’est plus Obadiah Stane, d’Iron Man, un homme vénal, qui cherche sans cesse la lumière des projecteurs et évince ses rivaux gênants, tout en recherchant le profit à tout prix. Et Eliasch, c’est Moriarty de Sherlock Holmes. Un mec discret, insaisissable, sournois, richissime, qui a des soutiens bien placés partout et qui manipule son monde pour arriver à ses fins. Vivement la saison de ski prochaine.

 

Crédits photographiques 

Image de tête : World Economic Forum/CC0/Flickr https://www.flickr.com/photos/worldeconomicforum/53470855872/

Lex Luthor : skywarp-2/CCo/Deviantart https://www.deviantart.com/skywarp-2/art/Okay-you-twisted-my-arm-101316330

A propos Joey Horacsek 89 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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