La nouvelle patinoire de Genève, aux Vernets ou au Trèfle-Blanc ? (2/2)

Après avoir considéré les points positifs et négatifs des deux sites a priori, nous allons voir dans ce second volet que le choix du futur site pourrait bien se faire sur la base de considérations plus économiques qu’idéologiques. Le problème, c’est que les acteurs assis à la même table des négociations défendent des intérêts divergents.

En dépit des réticences exprimées à l’encontre du site des Vernets dans la partie précédente, il faut bien admettre que les deux projets sont techniquement réalisables et possèdent chacun des arguments valables. Il va néanmoins bien falloir trancher, et il est probable que la décision va se jouer sur des arguments bien plus terre à terre, à savoir les sempiternels critères économiques. Et c’est là que ça commence à devenir intéressant (mais compliqué).Quel que soit le lieu retenu, le projet se fera via ce qu’on appelle un partenariat public-privé (PPP), ce qui ne constitue pas une surprise puisque actuellement la plupart des stades et patinoires se construisent selon ce type de coopération, qui peut néanmoins prendre plusieurs formes. Le cabinet Wuest & Partner, mandaté pour dresser un aperçu des enjeux économiques sous-tendant les différents projets, a imaginé deux variantes par site qu’il a présentées au comité d’examen en octobre passé.

Les deux variantes pour le site des Vernets

1) La première variante prévoit que la Ville de Genève assure le financement des nouvelles infrastructures liées au hockey : concours d’architecture, patinoire, patinoires annexes (les coûts de démolition de l’actuelle patinoire n’ont étonnamment pas été inclus dans le calcul). Coût estimé : 112 millions de francs. Le secteur privé se chargera quant à lui de la construction du parking souterrain et des surfaces de logements, bureaux et commerces. Coût estimé : 123 millions de francs.
Dans ce cas de figure, la Ville assure l’exploitation de la patinoire et reçoit un loyer du GSHC. Par contre, le secteur privé a dû se plier à la loi sur le PAV (projet Praille-Acacias-Vernets) ce qui, en clair, veut dire qu’il n’a pas pu construire tout ce qu’il voulait pour son meilleur profit. En conséquence, la rente payée à la Ville basée sur la valeur estimée du terrain est relativement faible, ce qui ne lui permet pas de dégager un bénéfice pour son exploitation. Au final, Wuest & Partner prévoient un déficit légèrement inférieur à 2.5 millions de francs par année pour la période 2022-2061.
2) La seconde variante se différencie de la première en ce qu’elle prévoit un investissement d’un mécène à hauteur de 51% dans les frais liés aux infrastructures «hockeystiques», ce qui réduit la participation du secteur public à 49%. La contribution de ce mécène, amené par le GSHC, permettrait au club de s’acquitter des frais de location de la patinoire, ce qui serait une excellente opportunité pour ses finances sur le long terme. Cette variante est par contre peu favorable à la Ville, qui ne recevrait plus l’argent de la location du club et se verrait donc privée de sa principale source de revenus. De plus, n’étant du coup plus propriétaire unique, elle devrait encore s’acquitter de la moitié des autres frais de location, ceux par exemple concernant les patinoires annexes, tout en ne recevant que 49% des revenus. Au final, le cabinet prévoit qu’avec cette option l’exploitation de la nouvelle patinoire déboucherait sur un déficit annuel légèrement supérieur à 2.5 millions de francs pour les années 2022-2061.
Dans ces deux propositions, la situation est donc relativement similaire pour la Ville qui sera déficitaire à long terme. Elle aura simplement investi environ deux fois moins d’argent dans le second cas de figure. Du côté du GSHC, on privilégie ardemment le site des Vernets, officiellement pour raisons historiques. 

Les deux variantes pour le site du Trèfle-Blanc

1) Comme pour les deux options des Vernets, les variantes du Trèfle-Blanc font la distinction entre les frais liés à la patinoire et les frais liés à la construction d’infrastructures privées annexes. Elles sont par contre légèrement plus chères, notamment parce qu’elles incluent le rachat des quatre parcelles privées (estimé à 15 millions de francs) et parce que le parking souterrain prévu est deux fois plus grand que celui du projet des Vernets. Dans cette première variante, l’exploitation est à nouveau totalement assurée par les collectivités publiques, en l’occurrence l’Etat de Genève, propriétaire du terrain. Comme aux Vernets, elle est déficitaire. La valeur du terrain étant cependant légèrement supérieure, ce déficit n’est estimé «qu’à» 1.8 millions de francs par année pour la période 2022-2061.
2) Contrairement à la seconde option du projet des Vernets, le cabinet Wuest & Partner ne prévoit pas la participation d’un mécène pour la deuxième version du projet Trèfle-Blanc. Cet intéressant état de fait veut certainement dire que le mystérieux mécène n’est autre que Rolex,  a.k.a. la fondation Hans Wilsdof, qui veut bien mettre du pognon mais à condition que son CEO puisse admirer le résultat depuis son bureau. En conséquence, la participation de l’Etat de Genève reste inchangée. Cependant, cette deuxième variante prévoit une exploitation bénéficiaire en tablant sur une plus grande valeur du terrain que dans la variante précédente. Et là attention, ça devient compliqué. Le rapport de Wuest & Partner n’aborde pas ce sujet de façon directe et claire, mais il semble évident que cette subite augmentation du prix du terrain au Trèfle-Blanc fait référence au cas de figure où ce dernier serait classé en «zone ordinaire». Dans la première variante, on considérait alors que le terrain était classé en «zone de développement», ce qui contraint tout investisseur à respecter une proportion de logements à caractère social. Cette zone de développement dégage potentiellement moins de bénéfices qu’un terrain classé en zone ordinaire, où les investisseurs peuvent construire plus ou moins ce qu’ils veulent, comme par exemple de la propriété par étage qui rapporte bien plus que de la location. Ainsi, dans cette seconde variante, la valeur du terrain loué par l’Etat de Genève aux privés qui construisent la patinoire et les infrastructures annexes vaudrait presque deux fois celle de la première variante, si l’on en croit les estimations du cabinet Wuest & Partner. Au final, cette deuxième version du site du Trèfle-Blanc serait la seule des quatre à dégager un bénéfice d’exploitation annuel, en l’occurrence légèrement inférieur à un demi-million de francs.
La conclusion à tirer de ces quatre cas de figure est que les partenaires n’ont pas exactement les mêmes intérêts dans la construction de la nouvelle patinoire. Si le Genève-Servette HC aime à ressasser les glorieux exploits du passé pour justifier son envie de rester aux Vernets, nul doute que le président Quennec est bien plus attiré par la perspective de ne pas payer de loyer à la Ville grâce au généreux mécénat apporté par Rolex. La compagnie, de son côté, n’a aucun intérêt à passer une demi-heure dans les bouchons de la route des Acacias pour amener ses clients au match quand la zone VIP pourrait être à 30 secondes à pied de son quartier général. De l’autre côté, il semble acquis que la Ville ou l’Etat de Genève va avoir à gérer l’exploitation de la nouvelle enceinte, entièrement ou partiellement : il ne serait alors pas surprenant que le secteur public appuie les deux variantes du Trèfle-Blanc, financièrement plus avantageuses que celles des Vernets à ce niveau. Pourtant, rien n’est simple non plus de ce côté-là, puisque les parcelles concernées au Trèfle-Blanc sont actuellement classées en «zone villas», ce qui signifie que, dans une variante comme dans l’autre, il faudra passer par une votation du Grand Conseil pour un déclassement du terrain, obligatoire pour construire un édifice aussi imposant qu’une patinoire. La Ville de Lancy, quant à elle, n’est a priori pas très favorable à un déclassement en zone ordinaire, ce qui mettrait encore du plomb dans l’aile de la seconde version du Trèfle-Blanc… Bref, on n’est pas sorti de l’auberge.

Oui mais pour finir, on l’a quand cette nouvelle patinoire ?

Les quatre options présentées par Wuest & Partner ne sont pas non plus forcément définitives. On pourrait ainsi imaginer que le mécène décide finalement d’apporter également son soutien au projet du Trèfle-Blanc. De même, l’étude n’a pas envisagé la construction éventuelle de patinoires annexes sur le site lancéen. Néanmoins, une certitude demeure : le chantier de la patinoire ne commencera pas avant l’été 2013, et ce dans le meilleur des cas. Autant dire que le GSHC va devoir se résoudre à rester dans son actuelle patinoire des Vernets pendant les quatre prochaines saisons au moins. Vous pensez que j’exagère ? Alors voilà un aperçu, probablement excessivement optimiste, des prochaines échéances du dossier.
La réunion prévue fin janvier entre les principaux protagonistes du projet n’était toujours pas agencée le vendredi 20 janvier, mais rêvons un peu et admettons qu’elle prendra place début février et qu’elle débouchera sur une décision ferme et définitive.
Le Département des Constructions et des Technologies de l’Information (DCTI) de l’Etat de Genève – dirigé par Mark Müller qui a certainement d’autres chats à fouetter en ce moment mais passons – établit un plan localisé de quartier (PLQ) provisoire qui explique de façon concrète les implications du projet sur le quartier. Le plan est soumis à plusieurs services de l’Etat dont la construction pourrait avoir un impact sur leur département (comme par exemple la Direction générale de la Mobilité). Puis, tenant compte des remarques, un PLQ est rédigé et soumis à l’enquête publique, c’est-à-dire qu’il est publié dans la feuille d’avis officielle (FAO). Comme il faut compter au moins 6 mois depuis le choix du projet de patinoire du comité d’examen pour en arriver là, disons que cette procédure nous a amené en août 2012.
Une fois le PLQ publié dans la FAO, n’importe qui peut faire parvenir ses remarques au DCTI pendant 30 jours. Il faut être conscient que, dans le cas où l’on pointerait du doigt un problème important, le DCTI pourrait décider de refaire un plan localisé de quartier depuis le début (ce cas de figure, qui impliquerait un retour en arrière d’une demi-année, est néanmoins très rare). Une fois toutes les remarques traitées et le plan définitivement établi (disons deux mois, ce qui nous amène en octobre 2012), il est transmis au Conseil municipal de la commune sur laquelle le projet doit prendre place (Lancy pour le Trèfle-Blanc ou Genève pour les Vernets). Ce dernier nomme une commission d’analyse puis vote le projet. Un référendum peut être lancé suite à la décision du Conseil municipal (pendant 30 jours). Ce processus prenant environ trois mois, nous nous retrouvons donc en janvier 2013.
Soyons optimistes : il n’y a pas eu de référendum. Une «procédure d’opposition au plan localisé de quartier» est alors publiée dans la FAO afin de donner aux habitants du canton la possibilité de faire opposition de manière formelle pendant un mois (février 2013). Dans ce cas de figure, l’Etat se réunit et statue. Une fois cet écueil passé, le DCTI va pouvoir délivrer une autorisation de construire, basée sur les plans (théoriquement préparés à l’avance) que lui aura soumis l’entreprise en charge de la construction de la patinoire. Le département va alors publier une «requête en autorisation» dans la FAO (ça prend environ deux mois, donc avril 2013), qui sera, comme pour un PLQ, soumise aux remarques de la population pendant un mois (mai 2013). Une fois les remarques prises en compte et réglées, l’autorisation de construire peut enfin être délivrée par le DCTI, qui la publie dans la FAO. Comme des oppositions peuvent encore être émises durant un mois, la construction commencera donc au plus tôt un mois après la publication de l’autorisation de construire, ce qui nous amène en juin 2013, soit seize mois après la prise de décision du comité d’examen !
Allez, on y croit !
Photos Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Marc Baertschi

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4 Commentaires

  1. Très bon article.
    Au passage le projet du trèfle-blanc a été préféré à celui des Vernets aujourd’hui même.
    Mais bon, quand on connaît la rapidité d’exécution de nos politicards, on ne peut effectivement pas s’attendre à quelque chose de concret de suite…

  2. On est bientôt en 2023 … et ce serait plus sage d’y rajouter un parking comme celui ´ de l’étoile ´ à côté, le tout par-dessus sur le grand parking des vernets avec de nouvelles tribunes .. par dessus pour ceux qui veulent voir le hockey ( et qui servira aussi pour le foot …vu les quelques 400 mètres à pied ) et donc en dessous de celles-ci, vu que ça manque cruellement de place dans le secteur !
    Il y aura donc un sacré mur … de supporters 🙂 et qui hurleront tous dans le même sens… et j’espère qu’on pensera à installer.. un écran géant pour les places les plus hautes , ha ha !

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