La Nati à nouveau sur les bons rails

Il y a un peu moins d’une année, l’équipe de Suisse battait la Corée du Sud 2-0 et se qualifiait pour les huitièmes de finale de la Coupe du Monde, terminant première de son groupe. Partie des tribunes en ébullition du Niedersachsen Stadion, une vague d’enthousiasme sans précédent gagnait tout le pays et les espoirs les plus fous semblaient autorisés. Depuis cette nuit inoubliable, la trajectoire de la Nati n’a été qu’une longue succession de désillusions, d’échecs et de doutes.

Il y a tout d’abord eu l’immense déception de l’Ukraine, puis une affligeante série de victoires sans signification contre des équipes de troisième zone et des défaites sans gloire dès que l’adversaire était un tant soit peu plus huppé. Pourtant, malgré le couac du Rhein Energie Stadion, la Suisse avait quitté la Coupe du Monde avec des acquis, des repères et des certitudes, fruits de deux campagnes de qualification victorieuses et d’une Coupe du Monde réussie, malgré une fin en queue de poisson : une solidarité sans faille, une organisation impeccable, un état d’esprit remarquable, une défense imperméable et un culot indéniable… On pensait que cette jeune équipe de Suisse pourrait s’appuyer sur ces éléments pour améliorer ce qui pouvait encore l’être : un manque de poids offensif et de créativité, l’absence de prises de risques individuelles dans les un contre un, une nervosité excessive dans les moments décisifs…Mais, après l’élimination contre l’Ukraine, on a eu l’impression que la Nati a perdu passablement de ses repères : l’ambiance dans l’équipe s’est délitée, la défense est devenue perméable,  l’organisation a commencé à flotter et les joueurs ont parfois donné l’impression d’errer comme des âmes en peine sur le terrain. Si bien que plutôt que de monter en puissance en vue de l’Euro, la Suisse semblait peu à peu perdre ses qualités qui avaient enthousiasmé tout le pays en juin dernier. Bien sûr, Köbi Kuhn ne peut être tenu pour responsable des problèmes rencontrés par plusieurs cadres de l’équipe dans leur club respectif. Et l’on a tellement souvent reproché à notre coach national son conservatisme, qu’il est difficile de le blâmer d’avoir fait des essais. Sauf qu’en fait d’essais, on a plutôt eu l’impression qu’il s’agissait de tâtonnements et que personne, à commencer par Köbi lui-même, ne comprenait vraiment où la Suisse voulait en venir avec ces incessants changements d’équipe et de système de jeu. Lorsque plusieurs éléments sont en manque de confiance et de compétition avec leur club, il serait important qu’ils puissent évoluer en sélection dans un dispositif clair et compris par tous. Le flou qui a régné à la tête de l’équipe nationale ces dix derniers mois a amené les dirigeants à entourer Köbi Kuhn d’une flopée de responsables, aux attributions bien mystérieuses, plutôt que de trancher dans le vif, soit en réitérant une confiance absolue au sélectionneur, soit en s’en séparant. A quand la sélection effectuée via un vote du public par SMS ? Cela mettrait au moins quelques sous dans les caisses de la fédération.

Il est vrai que l’obstination de Köbi Kuhn à ne pas sélectionner la meilleure équipe possible ne devient plus défendable. Même s’il serait faux de penser que Celestini ou N’Kufo résoudront tous les problèmes de la Nati, leur éviction actuelle paraît totalement injustifiée.  Kuhn dit ne pas vouloir briser l’harmonie du groupe en rappelant le joueur de Twente Enschede. Sauf que le groupe que N’Kufo aurait indisposé par son coup de sang déplacé contre l’Autriche en 2002, le groupe des Jörg Stiel, Murat Yakin et autre Stéphane Chapuisat, n’existe plus depuis longtemps. Même le groupe de la Coupe du Monde 2006 a éclaté lorsque Köbi Kuhn a décidé d’en écarter le capitaine et inspirateur Johann Vogel. Aujourd’hui, un nouveau groupe doit se constituer avec ses personnalités, ses leaders, sa dynamique propre et tous les meilleurs joueurs du pays devraient avoir la possibilité d’intégrer ce groupe. Après, à chacun de savoir saisir sa chance. On constatera au surplus que Köbi a déjà fait des entorses à ses principes en rappelant Chapuisat et Henchoz qui avaient eux aussi claqué la porte de la Nati après une non titularisation contre la Yougolsavie. Sans ce retour, la Suisse ne serait pas allée à l’Euro portugais et Kuhn ne serait plus l’entraîneur de la Nati. Enfin, on fera remarquer à Köbi qu’à Wembley contre l’Angleterre, la Seleçao a fait rentrer, en lieu et place de Kaka, le dénommé Afonso Alves, sociétaire du SC Heerenveen, meilleur buteur du championnat batave. Et nous, on snobe le deuxième buteur de ce même championnat hollandais. C’est bien connu, la Suisse a toujours eu un réservoir de joueurs plus fourni que le Brésil… C’est vrai, nous on a le joueur du mois de mai de Ligue 2 française et le 26e buteur de la Bundesliga autrichienne.
Pour se remettre en selle, l’Argentine n’est pas vraiment l’adversaire idéal. En pleine préparation pour la Copa America, les doubles champions du monde débarquent à Bâle avec toutes leurs stars (hormis Riquelme, qui a pris sa retraite internationale) et n’ont pas, contrairement à leurs voisins brésiliens – venus en touristes à Saint-Jacques -, l’habitude de jouer leurs matches, fussent-ils amicaux, sur une seule jambe. Les Français, surpris par l’engagement argentin lors de leur défaite au Stade de France en février (0-1, but de Saviola), peuvent en témoigner. De toute façon, expliquer la notion de match amical à Gabriel Heinze, c’est comme tenter d’inculquer les subtilités de la règle du hors-jeu à Pierre-Alain Dupuis, une bataille perdue d’avance.

Alors que l’après-midi et l’échauffement s’étaient déroulés au sec, des trombes d’eau s’abattent sur le Joggeli juste avant le coup d’envoi. On était contents d’être bien à l’abri au balcon de la Muttenzkurve ! Les joueurs n’ont pas eu le temps de chausser des crampons adaptés à la patinoire qu’est devenue le terrain et la 1ère période débouche sur un festival de glissades. Si le temps est britannique, l’arbitre lui est italien et a sifflé comme un match transalpin, en sanctionnant le moindre contact. Malgré ces conditions difficiles, l’équipe de Suisse réussit une bonne entame de match, propose quelques mouvements intéressants et parvient à enchaîner plusieurs longues séquences de jeu dans le camp albiceleste. Le match n’est pas désagréable à suivre mais les occasions sont rares : deux escarmouches pour la Suisse (coup franc de Barnetta, 9e, et tête de Vonlanthen, 34e), une grosse possibilité pour l’Argentine (tête de G. Milito sur le poteau, 28e).
A la mi-temps, Vonlanthen (moins convaincant que contre le Brésil sur le flanc droit) cède sa place à Gygax, lequel fait lui une excellent rentrée : l’ex-Zurichois s’illustre dès la 48e sur une déviation inspirée mais trop longue, qui débouchera sur une frappe de Streller aussi puissante que son penalty de Cologne. Autre changement à la pause, Huggel relaie un Wicky peu à son aise, au contraire de son alter ego Inler, qui s’affirme de plus en plus dans cette équipe de Suisse. N’en déplaise à ceux qui l’ont voué aux gémonies après son mauvais geste sur Kali. Un vilain geste certes mais qui ne méritait pas une telle mise au pilori. Surtout pas venant d’un club qui a enfanté Charly In-Albon et Yvan Quentin.

L’Argentine a ouvert le score sur un centre du génial pied gauche de Lionel Messi pour la tête de Carlos Tevez, plus vif que Ludovic Magnin. Pour son premier capitanat en équipe nationale, le Challensois, après un départ prometteur, n’a pas été à la fête. Les Gauchos passeront tout près du 0-2 sur une frappe de Cambiasso mais Benaglio a fait un arrêt miraculeux (52e). On ne sait pas si le but aurait été validé, le juge de touche ayant levé son drapeau pour signifier un hors-jeu trois secondes après la fin de l’action. Menée 1-0, à court de solutions offensives sur le banc, privée de son buteur providentiel Frei, blessé, la Suisse paraissait condamnée à une défaite honorable. C’était compter sans l’orgueil et la volonté retrouvés de cette équipe qui a été chercher une égalisation inespérée mais méritée : une remise de la tête à l’aveugle de Margairaz pour Barnetta, contré par un Argentin sur Streller, en hors-jeu de position au départ de l’action, qui conclut d’une volée précise. Vexés, les Argentins tenteront d’arracher la victoire sur la fin : vraisemblablement parti en position de hors-jeu, Milito centre pour Cambiasso dont la reprise est miraculeusement contrée par Degen (78e). En tous les cas, on ne soupçonnera pas le trio arbitral d’avoir été acheté, tant il a été mauvais pour les deux équipes. La dernière possibilité est pour Diego Milito qui croise trop son tir après une passe subtile d’Aimar (82e). On espère que les deux étoiles du Real Saragosse ont réservé les buts pour terrasser le Real Madrid samedi prochain à La Romareda !
Au final, la Suisse décroche un très bon match nul et réalise sans conteste sa meilleure performance depuis la Corée. Bien sûr, l’état de la pelouse a un peu atténué la supériorité technique des Albiceleste et les Gauchos n’ont pas voulu risquer la blessure à trois semaines du coup d’envoi de le Copa America. Une Copa America qui se jouera dans le Venezuela totalitaire et que les Argentins sont bien décidés à remporter pour garnir un palmarès vierge de tout succès depuis leur victoire dans la Copa America 1993 en Equateur. Et Messi, malgré quelques éclairs, avait sans doute déjà un peu la tête au très important derby catalan de samedi prochain (Cartonrouge.ch y sera, bien sûr). Il n’empêche, quand on voit le prodige du Barça se promener sur tout le front de l’attaque ou revenir chercher les ballons à mi-terrain, quand on songe aux tacles rageurs de Tevez ou aux protestations d’Ayala, on se dit que les Argentins étaient venus à Bâle pour gagner.

Ce match nul de la Nati doit donc être salué à sa juste valeur. La Suisse a retrouvé cette organisation et cet état d’esprit qui avaient fait rêver le pays en juin passé. Malgré son manque de compétition, la charnière centrale Senderos-Müller a parfaitement tenu le choc et on a eu l’impression que le dispositif tactique était compris et emportaient l’adhésion de tous les joueurs. Après presque une année d’errance et d’interrogations, la Nati paraît à nouveau sur la bonne voie et l’équipe faire bloc derrière son sélectionneur. Le chemin qui mène à une qualification pour les quarts de finale de l’Euro est encore long (notamment si l’on songe au peu d’occasions que les Helvètes se sont créés) mais ce Suisse – Argentine donne incontestablement quelques bonnes raisons d’y croire. Prochain épisode : le 22 août prochain à Genève contre un autre monument du football, la Hollande de Marco Van Basten. Espérons-le devant un stade comble. Ne serait-ce que pour démentir un certain entraîneur romand qui voulait que la Nati joue tous ses matches à Bâle, là où le soutien populaire serait si fort. Les dix mille places vides du Parc Saint-Jacques samedi lui donne tort. Alors, ami lecteur, mobilise-toi, cette équipe de Suisse retrouvée mérite ton soutien dans ce qui sera peut-être sa dernière sortie en Romandie avant l’Euro.

Suisse – Argentine 1-1 (0-0)

Parc Saint-Jacques : 29’000 spectateurs.
Arbitre : M. Messina.
Buts : 49e Tevez (0-1), 64e Streller (1-1).
Suisse : Benaglio ; P. Degen (89e Djourou), Müller, Senderos, Magnin ; Vonlanthen (46e Gygax), Inler (83e Cabanas), Margairaz (71e Yakin), Wicky (46e Huggel), Barnetta (86e Spycher) ; Streller.
Argentine : Abbondanzieri ; Zanetti, Ayala, G. Milito, Heinze ; Gonzalez (67e Mascherano), Gago, Cambiasso ; Messi (89e Saviola), Crespo (67e D. Milito), Tevez (79e Aimar).
Cartons jaunes : 19e Gonzalez, 49e Degen, 61e Senderos, 64e Magnin, 80e Huggel, 83e Ayala, 89e Aimar.

Écrit par Julien Mouquin

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